Coup d’envoi

Organoesis est un néologisme fondé à partir de deux mots grecs :

  • organon, qui signifie l’organe ou l’instrument,
  • noesis, qui signifie la pensée.

Ce néologisme suggère qu’il n’y a pas de pensée sans organes : organes biologiques (corps vivants), organes techniques (outils, supports, dispositifs) et organes sociaux (institutions sociales).

La pensée ne se situe pas dans les cerveaux des individus ni dans le ciel des idées, mais entre les organismes vivants, qui se relient par l’intermédiaire de leurs milieux techniques (supports de mémoire), au sein de groupes collectifs, en pratiquant toutes sortes de savoirs (savoir-faire, savoir-vivre, savoir habiter, savoir éduquer, savoir théoriques, savoirs sociaux, savoirs pratiques, savoirs techniques, etc.).

Qu’il s’agisse de la lecture ou de l’informatique, du jardinage ou de la construction, des mathématiques ou de la musique, tout savoir suppose l’intériorisation de règles à travers la pratique de dispositifs techniques (écriture et programmes, outils et machines, instruments scientifiques ou musicaux) au sein d’organisations sociales (familles, écoles de toutes sortes, formations professionnelles, universités). L’incorporation de ces règles et la pratique de ces organes artificiels modifient en retour les organismes, les cerveaux et les psychè, à travers l’acquisition de techniques du corps et de l’esprit.

Les savoirs constituent ainsi des processus d’intériorisation et d’extériorisation, qui supposent l’acquisition d’automatismes mais aussi la capacité à désautomatiser les habitudes acquises, à travers des pratiques nouvelles et singulières : un nouveau style d’écriture ou d’architecture, une nouvelle technique de programmation ou de jardinage, l’invention d’une nouvelle théorie mathématique ou l’improvisation d’un nouveau morceau de musique, qui sont autant de manières singulières de penser.

Pour être transmis et transformés, les savoirs doivent circuler au cours d’un processus transgénérationnel qui permet de renouveler leurs fonctions et de redéfinir leur valeur. Ce processus suppose l’existence d’institutions, qui incarnent des normes sociales supportées par toutes sortes de dispositifs mnémotechniques.

Comme tout choc technique, l’informatisation et la numérisation qui s’opèrent depuis les années 1990 perturbent en profondeur les agencements entre organismes psychosomatiques, organes techniques et organisations sociales : les institutions sont prises de vitesse et les savoirs sont court-circuités. Cette disruption s’observe dans tous les domaines : vie quotidienne avec l’apparition des objets connectés, éducation avec les phénomènes de troubles attentionnels, urbanité avec le développement des smart cities, mais aussi dans les champs du droit, des sciences, des arts, etc.

Les technologies numériques risquent ainsi de devenir dangereuses pour les individus humains, souvent contraints de s’adapter à des fonctionnements automatiques dont ils ne comprennent pas la signification mais dont ils ressentent la nocivité.

Tout l’enjeu consiste alors à envisager des agencements thérapeutiques au sein desquels les organes techniques ne détruisent pas les organismes vivants et psychiques et les organisations sociales, mais deviennent des objets de recherches et des supports de pratiques collectives, permettant aux groupes humains de transmettre et de cultiver toutes sortes de savoirs, afin d’adopter leurs milieux techniques.

Dans ce contexte, l’association Organoesis poursuit un double objectif :

  • comprendre comment les technologies numériques affectent, transforment et perturbent les organismes psychosomatiques (les corps et les esprits) et les organisations sociales (de la famille à l’Etat, de l’école maternelle aux écoles doctorales) ;
  • concevoir et expérimenter de nouvelles pratiques et de nouveaux dispositifs pour mettre les organes numériques au service des savoirs, donc de la pensée, dans les différents champs de la vie individuelle et collective.