Travail, savoirs, automatisation
De la data economy à l’économie contributive
Un consensus semble aujourd’hui se dégager pour admettre qu’au cours des deux prochaines décennies, l’automatisation numérique aura des conséquences considérables sur l’emploi. La nouvelle robotique et les automates algorithmiques tendent à remplacer non seulement les ouvriers dans les usines, mais aussi de nombreux autres emplois dans tous les secteurs (y compris ceux de l’éducation, de la médecine, du droit). Si ces « métamorphoses du travail » (Gorz) avaient pu faire espérer un gain de temps libéré pour les sociétés, force est de constater qu’elles se traduisent aujourd’hui par un problème de chômage massif, par la multiplication des bullshit jobs (Graeber), par l’extension du digital labor (Casilli), ou par l’apparition d’une prolétarisation généralisée (Stiegler).

Si les sociétés de classes se sont considérablement transformées, comme le soulignait déjà André Gorz dans les années 1980, on voit apparaître de nouvelles formes de divisions sociales, entre des groupes « hyperactifs dans la sphère économique » et une « masse exclue ou marginalisée », qui n’a d’autre choix que de se plier à « des activités de serviteurs » au service des « couches privilégiées » (Gorz) à travers des emplois précaires dont les profits sont captés par les entreprises du numériques et l’économie des données.
Un tel modèle ne semble ni socialement désirable ni économiquement solvable : en effet, la disparition progressive des emplois engendre la baisse du pouvoir d’achat. Or, si l’automatisation permet une augmentation sans précédent de la productivité, la question se pose de savoir « comment vendre des produits pour lesquels il n’y a pas de pouvoir d’achat correspondant ? » (Gorz).
Face à une telle question, l’hypothèse de l’économie contributive avancée par Bernard Stiegler propose de redistribuer le temps d’emploi équitablement entre les citoyens et de permettre ainsi à chacun de profiter d’un temps libéré de l’emploi, qui pourrait alors être mis à profit dans le cadre d’activités de travail, intermittentes et contributives, rémunérées par un revenu contributif, en raison de la richesse qu’elles apportent aux sociétés. Reste alors à penser la valeur de ces activités contributives hors emploi : dans des sociétés de plus en plus automatisées, la valeur des activités contributives repose sur le fait que les individus y pratiquent des savoirs (savoir-faire, savoir-vivre, savoirs théoriques) toujours collectifs, créatifs et singuliers, qui produisent de la nouveauté et ne peuvent donc pas être automatisés.
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