Depuis le début de l’année 2020, le basculement dans le numérique, que la pandémie en cours aura accéléré bien plus que provoqué, s’est fait dans une absence presque totale de réflexion critique et de délibération collective. Bien sûr, les urgences sanitaires n’ont pas permis le temps de suspension nécessaire aux réflexions et aux délibérations. Mais la question du rôle des supports techniques dans le champ de l’éducation et de l’enseignement n’est pas nouvelle : elle était déjà au cœur des réflexions de Platon, au principe de la philosophie elle-même.
La technologie disruptive était alors celle de l’écriture, et la question était celle de savoir comment mettre la technique de l’écriture au service de la transmission et du partage des savoirs au sein de l’Académie, et non au service des sophistes, qui vendent une « semblance de connaissance » et manipulent les esprits.
A l’heure du télé-enseignement, qui tend à devenir ce que Naomi Klein décrit comme un « screen new deal », la question se pose de savoir comment mettre les technologies numériques au service de la transmission et du partage des savoirs au sein des écoles et des universités, mais aussi, plus généralement, au sein des sociétés.
Alors même qu’elles recèlent des potentialités de contribution et de publication tout à fait nouvelles, les technologies numériques demeurent souvent au service de l’économie de l’attention ou de l’économie des données, qui engendrent elles-mêmes des phénomènes de désinformation caractéristiques de l’ « ère post-vérité ». Comment lutter contre les effets disruptifs des dispositifs numériques, en développant leurs potentialités contributives et herméneutiques ? Est-il possible d’envisager de nouveaux modèles d’éducations, d’enseignements et de recherches, articulés aux territoires et aux sociétés, qui permettent de faire du milieu numérique un milieu capacitant, compris, pratiqué et transformé par les habitants ?